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L'espoir démocratique du Kenya

Binaifer Nowrojee est Directrice de l'Open Society Initiative pour l'Afrique orientale

Les Kenyans ont de bonnes raisons de faire la fête cette semaine. Ils se sont rendus en grands nombres dans les bureaux de vote, ont tranquillement glissé leurs bulletins dans les urnes et rejeté en bloc une Constitution imparfaite qui leur avait été imposée à la hâte.

Le référendum du 21 novembre marque un nouveau tournant du processus de consolidation de la transition du Kenya vers une vraie démocratie. Le «non» n'a pas seulement empêché les tentatives du président Mwai Kibaki et de son cercle d'intimes de resserrer leur emprise sur le pouvoir, il a aussi confirmé aux Kenyans ordinaires le pouvoir des urnes.

Alors que le public kenyan a montré en quelle estime il tient le processus légal et la démocratie participative, les préparations au référendum ont dévoilé le visage le plus repoussant du gouvernement. L'administration de Kibaki a mis cette année à profit pour placer le pouvoir entre les mains d'une petite clique ethnique de Kikuyus. Les réformateurs à l'intérieur du gouvernement n'ont pas seulement capitulé devant ce recul, ils y ont même largement contribué.

Il y a deux ans, la situation était plus avenante. Autoproclamé gouvernement réformateur désireux de promouvoir le respect des droits humains et l'autorité de la loi, le gouvernement de Kibaki avait promis aux Kenyans une nouvelle Constitution dans un délai de 100 jours après son arrivée au pouvoir. Le projet de Constitution était alors en chantier depuis plusieurs années et avait été conçu à l'issue de grandes consultations nationales. Ses attendus prévoyaient le diminution des pouvoirs présidentiels excessifs et renforçaient la déclaration des droits du peuple kenyan.

Mais le gouvernement de Kibaki omit alors de dire qu'il allait modifier ce projet à la dernière minute. Après deux ans et demi d'atermoiements, la veille de la date d'expiration du projet de Constitution, le gouvernement a imposé en toute hâte au Parlement un projet alternatif qui conservait des pouvoirs forts au président, diminuait la portée de la déclaration des droits et manipulait les pourcentages électoraux nécessaires pour remporter la présidence. Le processus participatif, si critique dans l'élaboration de toute Constitution, était pris en otage. Le public ne se voyait offrir qu'une alternative: oui ou non.

La frénétique campagne du référendum constitutionnel connut un départ tumultueux. A l'aide d'un mélange d'encouragements financiers et de menaces, comprenant notamment deux incidents où la police tira pendant des manifestations, le gouvernement de Kibaki ordonna à la nation de voter oui.

Tout semblant de réforme fut abandonné lorsque le président Kibaki se mit à distribuer des titres de propriété de portions protégées du territoire et de parcs nationaux pour conquérir des électeurs. Les fonctionnaires furent informés que la Constitution était un projet gouvernemental qu'ils se devaient de soutenir, et les journalistes de tous les médias avertis qu'ils risquaient de se voir retirer leur licence après la diffusion par une station de radio de l'interview d'un député opposé à la Constitution de Kibaki.

En prévision des élections de 2007, le gouvernement a annoncé la création de 47 nouvelles circonscriptions. Cette démarche masquait à peine le projet non seulement de garantir la victoire électorale, mais aussi de cimenter la domination politique du groupe ethnique de Kibaki.

Cependant, les gens ordinaires ont rejeté le jeu de pouvoir de Kibaki et reconquis leurs droits sur la nation grâce aux urnes - une idée alors inconnue dans le contexte kenyan. La route cahoteuse du Kenya vers la démocratie n'est pas différente de celle de nombreux autres pays africains dont les transitions démocratiques ont été annoncées haut et fort et accompagnées de grandes espérances. Le Kenya a subi l'inévitable recul démocratique, la persistance de la corruption et la non-application des programmes de réformes, des thèmes récurrents ailleurs sur le continent.

Le changement d'état d'esprit du public kenyan reste l'un des plus grands espoirs. Soutenu par l'élection pacifique et couronnée de succès de 2002 qui portait la promesse d'un changement, le public kenyan s'est bruyamment indigné de l'échec du gouvernement de réaliser ces promesses. Les émissions radiophoniques avec interventions des auditeurs se sont multipliées et la voix du public se fait vivement entendre. Si l'euphorie publique et les grands espoirs ont été découragés, les Kenyans restent résolument engagés dans le processus démocratique.

Il est indéniable que le gouvernement de Kibaki a reconnu sa défaite de bonne grâce, mais le crédit doit revenir au public kenyan par son refus de permettre aux autorités de passer outre la loi. Les Kenyans ordinaires ont joué un rôle crucial pour changer l'issue de ce qui, il y a dix ans, aurait été joué d'avance.

Les nombreux autres Africains qui déplorent la lenteur de la transition démocratique de leur pays feraient bien de s'inspirer de l'événement kenyan. Quant à la communauté internationale, elle a désormais un défi à relever: s'assurer que l'espace politique revendiqué par le public kenyan reste ouvert.

©2005 Project Syndicate

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