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Questions et reponses : Un mouvement international pour les droits des personnes atteintes d’albinisme

Une étudiante de 15 ans poursuivant des études d’albinisme avec ses amis, en Tanzanie. © Dieter Telemans/Panos Pictures

Dans certaines zones subsahariennes africaines, les personnes atteintes d’albinisme courent un « risque d’extinction », selon Ikponwosa Ero, un des experts indépendants pour la défense des droits des personnes albinos par l’ONU. Mme Ero, qui souffre d’albinisme et qui est la première personne à occuper son poste, s’est entretenue avec Alison Hillman, préposée principale aux programmes de l’Initiative des droits de la personne, des efforts pour sensibiliser davantage à la crise à laquelle les personnes qui sont touchées par cette maladie sont exposées.

Parlons d’abord de l’intitulé de votre poste. Il est long, quand bien même selon les normes de l’ONU ! 

Vous avez raison. Mais sa finalité est bien réelle.  

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a créé ce mandat en 2015 pour faire suite à l’augmentation des cas d’agression physique contre des personnes atteintes d’albinisme. 

Un peu partout en Afrique, les personnes atteintes d’albinisme ont été traquées par des groupes désireux de prélever des parties de leur corps. 

Il s’agit d’une affaire macabre. Les membres, les cheveux et même les têtes des personnes atteintes d’albinisme ont été coupés par des voleurs et vendus sur le marché noir. Plus de la moitié de ces attaques concernaient des enfants.

La recrudescence des attaques a fait la une il y a une dizaine d’années, depuis la Tanzanie. Initialement, il a d’abord été pensé que la chasse aux parties de corps et les pillages de tombes étaient limités à une région spécifique de la Tanzanie, mais des exécutions se sont étendues au Malawi et au Mozambique au cours des 10 dernières années. Aujourd’hui, nous avons recensé des attaques dans 28 pays du continent.

Pourriez-vous m’en dire davantage sur la pathologie liée à l’albinisme ? 

L’albinisme est une maladie non contagieuse, héréditaire et génétiquement transmise, qui est causée par une production insuffisante de mélanine. Elle se caractérise par une absence partielle ou totale de pigment au niveau de la peau, des cheveux et des yeux, ce qui a pour effet de rendre les personnes atteintes d’albinisme pâles par rapport à celles qui produisent la mélanine de manière symptomatique.

Les deux parents doivent être porteurs du gène pour qu’une autre personne soit atteinte d’albinisme ; dans de tels cas, le risque que leur enfant naisse avec cette pathologie est de 25 pour cent. En ce qui me concerne, j’ai cinq frères et sœurs, et je suis la seule personne atteinte. C’est une sorte de loterie génétique. 

Les personnes atteintes d’albinisme sont-elles présentes partout dans le monde ?

Oui, il y a des communautés où le taux de prévalence de l’albinisme est aussi élevé qu’un sur 100. En Europe et en Amérique du Nord, il est d’environ un sur 17 000. Dans certaines zones du Pacifique, ce taux peut atteindre jusqu’à un sur 700. Bien des gens sont surpris d’apprendre qu’il y a des personnes atteintes de l’albinisme dans le monde entier. Par exemple, je me suis récemment rendu au Japon et j’y ai rencontré des personnes atteintes d’albinisme qui se teignent régulièrement les cheveux et portent même des lentilles de contact colorées pour se fondre dans la société.

Pourquoi ces attaques barbares contre des personnes atteintes d’albinisme ? 

Les attaques reposent sur le mythe selon lequel les parties du corps des personnes atteintes d’albinisme, lorsqu’elles sont utilisées dans des potions de sorcellerie, peuvent aider les candidats à gagner les élections, ou que ces potions portent la chance en amour, et permettent aux hommes d’affaires de réussir. 

Donc, les parties du corps sont prélevées et vendues aux sorciers ?

Oui, selon la Croix-Rouge internationale [PDF] et les médias, cela peut être très lucratif. Un membre peut atteindre 5 000 $ et un cadavre complet 75 000 $.

Hormis l’impact sur votre apparence, est-ce que l’albinisme a d’autres impacts sur la santé ?

En plus de modifier l’apparence, l’albinisme entraîne souvent deux problèmes de santé congénitaux permanents : des déficiences visuelles à divers degrés et une prédisposition élevée au cancer de la peau. Par exemple, si une personne atteinte d’albinisme ne se protège pas avec un écran total, elle court un risque important de contracter des formes très agressives du cancer de la peau. Il semblerait que les personnes atteintes d’albinisme dans les pays tropicaux, par exemple, meurent à un rythme effarant à cause du cancer de la peau. 

Le plus triste, c’est qu’il est tout à fait évitable. Il suffit d’utiliser un écran total pour se protéger efficacement. Les statistiques révèlent que jusqu’à 98 pour cent des personnes atteintes d’albinisme dans certains pays meurent avant l’âge de 40 ans des suites d’une exposition au soleil.

Ikponwosa Ero, expert indépendant des Nations Unies sur la pratique des droits de l’homme par les personnes albinos, sur le fleuve Niger à Bamako, Mali. © Annie Risemberg pour l’Open Society Foundations

Je sais que de nombreuses associations de personnes atteintes d’albinisme s’identifient comme faisant partie du mouvement pour les droits des personnes handicapées. Dans quelle mesure l’albinisme s’inscrit-il dans une approche fondée sur le handicap ? 

De nombreuses personnes ont historiquement compris le handicap dans un sens très limité. Les personnes en fauteuil roulant, les aveugles ou les malentendants sont les personnes auxquelles les gens pensent généralement lorsqu’ils imaginent une personne ayant un handicap.

Aujourd’hui, grâce à l’adoption généralisée de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées, nous comprenons le handicap comme l’interaction entre la déficience d’une personne et les obstacles dans la société qui limitent sa pleine inclusion en tant que membre de notre communauté. Pour les personnes souffrant de handicaps physiques, le principal obstacle est le manque de transports et d’infrastructures accessibles. Pour les personnes atteintes d’albinisme, par exemple, les obstacles à surmonter sont le manque de mesures d’adaptation en classe et les attitudes et les préjugés de nombreuses personnes à leur encontre qui nous empêchent de nous instruire, qui mettent la population active et même nos vies en péril.   

Depuis la Convention relative aux droits des personnes handicapées, les gouvernements ont la responsabilité de lever les obstacles afin que les personnes handicapées puissent participer sur un pied d’égalité avec les autres dans leurs communautés, ce qui comprend la suppression des obstacles physiques, communicationnels et psychologiques.

Quel exemple concret d’action un gouvernement peut-il prendre pour promouvoir l’inclusion des personnes atteintes d’albinisme ?

Proposer de la crème solaire reste un exemple simple et peu coûteux. Je ne suis pas atteinte d’un cancer de la peau, car j’ai pu me protéger du soleil. Dans de nombreux pays où vivent des personnes atteintes d’albinisme, la crème solaire est soit inexistante, soit trop chère pour que les gens puissent l’acheter. Nous travaillons dans un certain nombre de pays avec les gouvernements pour lancer la production et offrir les crèmes aux personnes atteintes d’albinisme à petit prix, voire gratuitement.

La bonne formation des policiers en est une autre. Dans de nombreux endroits, la police ne saisit pas les risques particuliers auxquels sont exposées les personnes atteintes d’albinisme et, par conséquent, elle a omis de prendre des précautions élémentaires et sensées pour prémunir les victimes des attaques.

Les gouvernements peuvent aussi mener des campagnes de sensibilisation. Dans de nombreux pays africains, il existe un mythe selon lequel les personnes atteintes d’albinisme « ne meurent pas, elles disparaissent ». Ce phénomène est associé à la pratique de l’infanticide ; les enfants atteints d’albinisme sont tués à la naissance pour ne pas éprouver la honte et la stigmatisation qui accompagne souvent le fait d’avoir un enfant atteint d’albinisme. Des campagnes parrainées par le gouvernement et mettant en vedette des personnes atteintes d’albinisme dans la vie de tous les jours, en participant comme tout le monde, contribueraient grandement à briser certains mythes et stéréotypes qui sont la cause de notre isolement et qui mettent même nos vies en danger.

Nous ne parlons pas ici de solutions onéreuses. Je viens d’un pays en voie de développement et je suis par conséquent sensible aux coûts et aux fardeaux auxquels sont confrontés les gouvernements. 

Dites-moi à quoi ressemblerait le succès pour vous dans le cadre de votre mandat.

Mon mandat est de sensibiliser la population aux violations des droits des personnes atteintes d’albinisme et d’inciter les gouvernements à prendre des mesures concrètes pour lutter contre ce genre de violations et promouvoir nos droits. 

En 2017, l’Union africaine a fait adopter un plan d’action régional pour lutter contre les abus et promouvoir les droits. Cette initiative a fait ses preuves, mais je veux qu’à l’avenir, les gouvernements mettent en œuvre des plans d’action nationaux qui répondront aux besoins de leur propre pays.  

De concert avec des partenaires à travers l’Afrique, nous nous efforçons en outre de renforcer le mouvement des organisations de personnes atteintes d’albinisme afin qu’elles puissent défendre leurs droits et faire un pas en avant pour trouver des solutions à cette crise qui sévit au niveau des droits humains. 

J’espère enfin que davantage de gens prendront conscience de cette crise et prendront des mesures pour faire évoluer les mentalités et en finir avec les abus. Nous avons créé un site Web interactif actiononalbinism.org où les gens pourront trouver de plus amples informations et devenir des agents du changement. Impliquez-vous !

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